AUTOPSIS
Qui êtes-vous ?

- Nom : Nicolas Parrington
AUTOPSIS : Voir par soi-même, est d’abord une discipline de la mémoire : Se souvenir de tout pour en oublier la plus grande part, oublier les dogmes et les vérités indiscutables, oublier encore leur corollaires les plus pernicieux : les conventions écrasantes, les idées préconcues, les certitudes jamais vérifiées; oublier surtout que c’est impossible afin de se mettre en chemin et se gorger d’images comme autant de grains de pollen, insignifiants en apparence, mais constitutifs des plus belles histoires que nos petits-enfants s’efforceront d’oublier. Alors, à leur tour, ils iront voir par eux-mêmes et découvriront que voir, c’est faire exister.
dimanche, avril 30, 2006

Je me suis occupe de moi, je suis installe chez Dimitar Altanov. Je dois maintenant m'occuper de mon velo: 2500 kms sans une crevaison meritent une recompense, quelques signes de fatigue, sur la roue avant anormalement chargee, imposent des soins. Il aura les deux, mais ou?
Premier carrefour, rue pirotska, non que des cafes! rue tsar Simeon, non plus, que des echopes de pieces detachees de bagnoles, en face.. j'en suis la de mes reflexions quand je suis interpelle en anglais par un grand echalas, les epaules voutees, avec un beau velo. Depuis l'Italie, j'ai tout vu en matiere de velo, tout entendu surtout, frottant, grincant, couinant, cognant, du paysan assis sur ses peaux de mouton a celui qui coincait son foin entre le cadre et sa faux, lame en l'air... Alors, cette belle bicyclette, propre, silencieuse, avec les deux roues dans le meme plan m'a intrigue plus que le bonhomme, j'avais tort!
Cyril n'avait pas d'age, plus de cinquante, moins de soixante-dix, mais entre les deux? Il n'avait pas de taille non plus, je le croyais grand, il ne l'etait pas. Il m'a d'abord conduit chez Atanase qui, le lendemain, a l'heure dite, me rendait pour un prix ridicule, un velo parfait; puis, comme si cela allait de soi, m'a ramene chez lui.
Un immeuble vetuste dans une petite rue encombree d'epaves de voitures et de chiens; cinq etages d'un escalier plein d'un bric-a-brac extraordinaire: des choses que l'on ne garde pas dans les appartements mais dont, quand on est pauvre, on ne se defait pas: un vieux moteur de machine a laver, les restes d'une installation electrique, des tubes et de la ferraille, une selle de mobylette. Dire que l'appartement de Cyril etait modeste ne signifie rien, mais que dire? Seuls elements cossus, un piano droit tres haut et tres vieux et une television devant laquelle etaient assises sa femme et une voisine en robe de chambre. Les deux disparurent immediatement, alors commenca le long, l'interminable recit de sa vie, sa fille en Allemagne, puis son metier de traducteur qu'il n'exercait qu'occasionnellement, puis le communisme, puis les camps de travail, quatre ans a Belala, ou Balele, ou Balala, je ne sais plus, quatre ans de froid, de faim, de moustiques, de mort, puis, puis, puis... Comme si les mots ne suffisaient pas, il est alle chercher une petite valise dans laquelle sa vie toute entiere etait contenue; ses papiers, ses photos, son proces, sa deportation, tout etait la et m'oppressait: Trente ans apres sa sortie des camps, il n'etait pas libere, plus il parlait, plus il paraissait etre reste derriere des grilles.
A 21h30, pour que je reste encore, il m'a emmene diner dans la cuisine; je suis sur que sans moi, il ne l'aurait pas fait. Une ecuelle de soupe froide aux epinards avec du yogurt dilue et du paprika, quelques tiges d'ail frais a croquer et un peu de gateau de fromage.
Le lendemain- il m'avait fait promettre de revenir -sa litanie froide et sterile ne s'etait pas arretee: sa maison dont le toit avait brule et que l'on avait jamais reconstruit, se contentant d'etaler du ciment sur le parquet du grenier, les communistes, les mafias, le gouvernement...Pas de revolte, juste de la plainte a l'interieur de laquelle il etait prisonnier depuis trente ans comme il l'avait ete des iles du Danube. Je devais partir, ma presence, loin de le liberer, l'enfermait davantage encore. Alors je lui ai explique pourquoi je voyageais, pourquoi je voulais fuir, pouvait-il comprendre? Je lui ecrirai dans quelques jours, dans quelques semaines.
J'ai marche, le vent glacial qui descendait du pic Musala venait ricocher sur les coupoles d'or de la cathedrale Aleksandar Nievski avant de s'engouffrer dans les rues environnantes. A l'interieur, il faisait doux, des centaines de petits cierges tres fins diffusaient un parfum melange de cire et d'encens, le lustre gigantesque suspendu au dessus du nartex emplissait tout l'edifice d'une lumiere tres faible et tres chaude, aucun siege ne venait perturber les perspectives vertigineuses du damier circulaire en marbre noir et creme dont le sol etait fait.
Le monde entier semblait s'etre concentre la, seul un rai de lumiere blanche et froide rappellait, quand on ouvrait la porte, que ce n'etait qu'une illusion.
vendredi, avril 28, 2006

Mardi soir, Alekzinac, Serbie Crna Gora,
Je ne quitterai pas ce pays sans avoir pu mettre des visages sur les ruines qui ont hante des jours durant, ma traversee de la Croatie et de la Bosnie.
La Serbie, peut-etre parce qu'elle en a garde la capitale Beograd, n'a rien renie de son passe yougoslave. Ce nom est frequemment utilise, les monuments, les batiments, l'ambiance un peu pesante sont la pour rappeller le communisme qui inspire encore largement le present de ce pays. Je ne fus donc pas surpris en apercevant de tres loin, la silhouette massive et imposante du "motel". Le coup de menton du pompiste, questionne a l'entree de la ville, marquait une forme de degout, le mot "motel" avait ete efface des panneaux routiers, mais il etait la, construit de verre et de beton a la gloire du Titisme thriomphant et j'avais besoin d'un abri.
Je le crus, un instant, desaffecte tant la facade du batiment principal etait decrepie, mais les six etages semblaient habites en permanence: linge a secher, cuisine, antennes. Il en etait de meme pour l'annexe qui paraissait avoir ete montee a la hate par dessus un long corridor.
Je ne compris pas immediatement ou etait la reception tant le hall etait vaste. La moquette de sol avait disparu sous une couche de terre, les hautes vitres censees, en leur temps, apporter la verite et la lumiere dans l'edifice etaient devenues opaques et diffusaient un jour grisatre assombri encore par quelques voilages pendants, de vieux chromos delaves vantaient, depuis des decennies, la Yougoslavie, phare touristique guidant le progres en marche. Dans ce que je crus etre la piece commune, une tele, trois fauteuils de jardin et des seaux pour recuperer, partiellement, l'eau qui gouttait des etages superieurs.
Elle etait mignonne derriere son comptoir vide, elle aurait voulu tout me dire, tout de suite, tout, en bloc, bien sur pour 10euros, une chanbre, oui, bien sur, mais, vous comprenez.. Je l'ai laissee, mortifiee, me montrer la chambre et puis parler, par saccades avec des silences entre chaques phrases puis entre chaque mots.
Ils etaient la, tous, depuis quatorze ans. La famille qui habitait la petite maison brulee a l'entree de ce village de croatie, elle etait dans une chanbre de ce motel depuis quatorze ans. Le vieux monsieur seul qui fumait, assis, dans l'escalier du batiment annexe, depuis quatorze ans lui-aussi. Ils avaient ete deplaces du Kosovo, de Croatie, de Bosnie, a l'abri alors, depuis quatorze annees, tout, hommes, femmes, batiment, avaient ete laisses a l'abandon. Bien sur, pour les familles, programme de reconstruction, fonds allemands, logements petits, mais loin, petits, pas en ville, loin, par la-bas, mais petits.. pour le vieux monsieur seul......
Je n'ai pas ose prendre la chanbre, j'aurais du peut-etre, surement, j'ai plante ma tente a l'arriere du batiment, sur les bords de la Moldava. Sur ce qui avait ete le parvis, de vieilles femmes discutaient sur deux bancs qui se faisaient face. Lorsqu'elles s'en sont levees, en fin d'apres-midi, pour laisser la place aux ados qui y passeraient la soiree, j'ai vu qu'ils etaient faits de deux madriers ficeles sur des tubulures de chaises d'ecole.
mercredi, avril 26, 2006

Plus je m'eloigne de France, plus mes reperes habituels, modes de vie, culture, cuisine, ecriture meme, disparaissent: C'est un peu vertigineux mais tellement exaltant. En revanche, les relations avec les gens que je croise ou rencontre sont plus difficiles et ne se resument, le plus souvent, qu'a l'echange de quelques mots, voire un seul: le nom du village dont je cherche le chemin. J'ai enregistre quelques mots pour installer une connivence mais c'est tres insuffisant; aussi je prends, systematiquement au moment de partir, l'initiative d'une poignee de main, solide, compacte, fraternelle.
A chaque fois -au sens litteral du mot, pas une fois n'a manque- le visage de mon vis-a-vis s'est eclaire d'un vrai sourire, authentique et cordial.
On ne rencontre que rarement des gens merveilleux mais il est possible d'enrichir le quotidien par l'accumulation d'echanges microscopiques.

Lorsque le prepose a la barriere tenta de me faire rebrousser chemin, il ne savait pas que la seule regle gravee dans le marbre de ce voyage est: "Ne jamais revenir sur ses pas".
Alors ses sept kilometres de travaux, sa route devenue impraticable, ses explosifs pour elargir les tunnels.. rien ne m'aurait fait repartir en arriere: Cela signifiait alors rallonger l'etape du jour de 35 kms de montagne: Non!!
J'ai parlemente dans toutes les langues que je connais ainsi que celles que j'ignore encore. Je crois que je l'ai tellement use, qu'au bout d'un quart d'heure, il a fini par entrouvrir sa barriere. J'etais seul a pouvoir utiliser ce defile magnifique, pas toujours tranquille sous les tunnels mais aucun autre ouvrier ne m'a barre la route. A 17h00, j'etais a Pirot comme je l'avais prevu.
- Aucun des hommes presents dans l'etablissement n'avait du entendre parler des Hospices de Beaune.
- Il ne doit pas etre facile de retrouver toutes les voitures volees en France.
- Ma moyenne ce jour-la a ete beaucoup plus rapide que d'habitude.
dimanche, avril 23, 2006
samedi, avril 22, 2006
La journee de repos a ete benefique pour le ciel comme pour moi. Il n'est toujours pas bleu mais la pluie a cesse et la riviere Sana qui passe en contrebas de l'hotel ne monte plus. Elle a largement recouvert ses berges naturelles, des amas de branches et de troncs se sont coinces sur les piles du pont, tasses par la vitesse des eaux boueuses.
Il est 7h30, un petit trait jaune ondule jusqu'a Banja luka. Jaune c'est bien; rouge signifie camions, voitures, bousculades, bruit; Blanc ne dit rien de precis: chemin, piste... donc , jaune c'est bien.
Desempare, j'ai appelle, crie jusqu'a ce qu'une vieille femme apparaisse sur le seuil. Elle etait minbuscule, couverte de frusques de la tete aux pieds, seul apparaissait son visage avec deux yeux profonds, clairs et petillants et un franc sourire. A part son tablier, tout n'etait que lainages, des fichus, des chaussettes des gilets superposes en couches multiples, ravaudes, reprises, retricotes mille fois et sales a fremir. De ta main calleuse, elle m'a fait signe d'entrer et m'a fait asseoir pres du rechaud ou gresillait ce que je crois etre des haricots avec de l'oeuf et m'a servi une bon verre de gnole tire d'une bouteille en plastique. Elle a parle sans que je ne comprenne un seul mot et m'a montre la direction a prendre: le bourbier en sens inverse. Je ne connaitrai jamais son nom, disons la mamie de Stratinska. Je crois qu'elle se souviendra longtemps de ce fransouski tombe du ciel qui l,a embrasse avant de repartir.
En debut d'apres midi, j'avais retrouve mon chemin, 30 kms parcourus seulement mais dans la bonne direction, sans dejeuner, je me suis mis a rouler sans m'arreter, le soir j'arrivais au but que je m'etais fixe. 120 kms plus loin.
Ah, quelle belle journee.
mercredi, avril 19, 2006


lundi, avril 17, 2006
vendredi, avril 14, 2006
mardi, avril 11, 2006

Autour de Cremone ou tout est injustement dedie a Stradivari (Guarneri a plus fait pour la gloire de la lutherie de cette ville), le Po est endigue sur toute sa longueur. Ne serait la couleur des maisons, tout me ramene vers l'estuaire de l'Escaut dont les paysages me parlent tant: Le ciel bas et monochrome, les routes rectilignes jusqu'a l'horizon, balayees par un vent qui semble ne jamais devoir finir, quelques rares clochers, tres hauts, tres fins, permettent aux villages invisibles d'interpeller le voyageur: phares dans la brume ou quinquets de taverne, c'est promis, ici plus qu'ailleurs, chacun trouvera salut et reconfort.
samedi, avril 08, 2006


Premiere frontiere, il en reste 13, j'aurais aime faire tamponner mon passeport mais les postes de douane, francais et italien, sont abandonnes depuis des annees, en temoigne la couche de poussiere grise agglutinee sur les rares fenetres encore en place.
Peu avant Menton, j'ai double un pelerin. Je l'avais vu de loin, petite chose sombre au bord de la route, domine par la coquille de son baton, bien plus grand que lui. La tignasse pendant en meches grasses, la peau noire de soleil, noire de crasse, noire de mauvais sommeil, il etait, lui et son sac couvert d'une pelerine luisante qui achevait de le transformer en quasimodo puant. Je me suis arrete, l'ai salue, entre voyageurs... Il a grommele, je ne sais pas dans quelle langue, perclus de trop de solitude, il ne devait plus le savoir lui-meme.
Je suis reparti, lui ai fait un signe de la main, je ne saurai pas ou il allait; qu'importe, je doute qu'il n'en revienne jamais. Alors j'ai roule, derange, mal a l'aise; au detour d'un virage, une glycine m'a pris par la main pour me ramener sur la route, les agaves, les citronniers et le soleil declinant lui ont prete main forte.
A Ospedaletti, la Via Aurelia qui traverse le village est bordee de mandariniers et de dattiers. Je pense qu'on ne mange ni les unes ni les autres mais les voir m'a rassasie.

Deux kilometres au dessus de "Notre Dame de Valvert", le col de "Toutes Aures" marque la fin de mes Alpes et le debut d'une longue descente vers Nice. Derriere moi, les nuages menacant depuis le matin se dechirent sur les sommets; devant, loin devant, une minuscule echappee de ciel bleu pale, pas meme une culotte de gendarme mais deja une promesse d'Italie.
Je me suis arrete, retourne, j'ai essaye de reconnaitre, sans succes, les sommets qui m'avaient vu passer. Je ne me suis pas apesanti sur le chemin parcouru.. Pourtant..
vendredi, avril 07, 2006
mercredi, avril 05, 2006

Col de la pigière, Quelques kilomètres pour quitter Séderon et le col est déja franchi. De l'autre coté, toujours la Drôme mais déja la Provence, celle de Giono, marquée par les eaux froides, sauvages, farouches de la Durance. A droite, la magnifique crête enneigée de la Montagne de Lure, en contrebas de la route, le "Jabron", bientôt il se prélassera sur toute la largeur d'une vaste plaine alluviale, pour l'heure, il n'est qu'un ruisseau se jouant de la lumière blanche du matin, la renvoyant en milliers d'aiguilles qui piquent plus qu'elles ne réchauffent. A gauche, quelques pierriers s'écoulent nonchalamment, semblant se réveiller du gel de la nuit. Sur un promontoir, une vache en contre-jour, la tête encore couverte de son pelage d'hiver, me regarde passer, toute auréolée de soleil.
Et puis, sentinelles innombrables, ces petits chênes verts couverts, depuis l'automne, de leurs feuilles sèches qui cliquettent dans la brise.
C'est beau, c'est le matin..



